Éclairer un spectacle : méthode ou intuitions ?
par Stéphanie Daniel

Éclairer un spectacle : méthode ou intuitions ?

Compte rendu de la rencontre avec Stéphanie Daniel le dimanche 29 octobre 2017.

Parcours de Stéphanie Daniel

Stéphanie Daniel découvre le théâtre en 5ème par le jeu, la danse et le mime. Mais être sur scène ne lui plaît pas. C’est en allant voir un jour une représentation des « Trois mousquetaires » à la Criée, théâtre national de Marseille qu’elle se dit « Je veux faire partie de ces gens là ». C’est le premier spectacle qui la marque et lui donne envie de travailler dans le monde du spectacle.

Puis un jour, lors d’une autre pièce elle lève les yeux et vois une « cabane » : c’est la régie.

« Une porte s’ouvre pour moi » dit-elle.

Elle devient stagiaire lumière sur un festival en plein air à Martigue en 1984 puis elle part en Angleterre en tant que fille au pair et vit sa première expérience de poursuite lumière là-bas.

Elle revient en France et commence à apprendre le métier à Lyon avec plusieurs compagnies. Elle constitue son réseau, le travail ne manque pas, mais elle cherche la reconnaissance et la possibilité de travailler exclusivement en tant que conceptrice lumière.

Elle passe le concours du TNS à Strasbourg pour la première fois en 1986 mais le rate. Elle le retente l’année suivante et le réussit. Elle est d’ailleurs aujourd’hui membre du jury pour l’école du TNS.

Lors de son spectacle de sortie de l’école elle rencontre le metteur en scène Jean Dautremay, en 1989 à la Chartreuse, durant le festival d’Avignon. Elle retravaillera ensuite avec lui sur d’autres spectacles et notamment en 1994 à la Comédie Française.

A sa sortie du TNS, grâce au dispositif JTN (Jeune Théâtre National), elle travail pendant deux ans en tant que régisseuse et assistante lumière.

La lumière : un acteur du projet

Durant ces deux années, elle assiste entre autre Dominique Bruguière ; éclairagiste très carré, qui travail avec des plans,… : elle illustre la méthode et la rigueur ; et Hervé Audibert qui travail au feeling, aux idées,… : il illustre le concept et l’intuition. Ces rencontres sont pour elle déterminantes et lui permettent de développer sa propre vision de l’éclairage et sa propre méthode.

Ayant entendu parlé plusieurs fois de Stanislas Nordey et de son potentiel, elle décide de le rencontrer et lui propose de travailler pour lui. «  Je l’ai harcelé ! » dit-elle en riant.

Son obstination finit par payer car Stanislas Nordey accepte de travailler avec elle et elle réalise la lumière de son spectacle « La dispute » au théâtre de Sartrouville en 1992. Dès le début elle impose ses conditions, elle ne fera que la conception lumière et ne partira pas en tournée, Stanislas Nordey accepte.

L’espace de ce spectacle est inscrit dans un carré au sol (en sable bleu). Voici le dispositif d’éclairage que Stéphanie Daniel a mis en place :

  • éclairage par une poursuite de 5kW transportée dans un caddie
  • un système de douche au dessus du carré
  • PAR autour qui s’allument sur les pas de la danseuse
  • 8 découpes qui tracent les raies de lumière formant le carré

Dans « La dispute » tout était a vu, la lumière devait donc être scénographié. Le principe de création du spectacle impliquait qu’elle pouvait travailler la lumière en répétitions. « Dans ce type de fonctionnement, on doit accepter que tout le dispositif peut évoluer jusqu’au bout du projet ».

Il faut savoir « tout préparer pour pouvoir ensuite faire autrement » et faire des changements au dernier moment. Stanislas Nordey est allé jusqu’à utiliser des effets lumière qu’elle avait proposé pour construire son spectacle : les acteurs venaient mettre leur tête et parler dans un faisceau de lumière qu’elle avait mis en place. . La mise en scène s’est appuyée sur ce carré de lumière pré-existant. « C’était comme un cadeau qu’il me faisait ».

C’est grâce au travail avec ce metteur en scène qu’elle se rend compte que la lumière peut être un acteur à part entière du spectacle.

Méthode ou intuition ?

Une citation la poursuit pour imaginer ses créations lumière : « Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? » – Leibnitz. « C’est quoi l’idée de la lumière ? Pourquoi cette lumière alors que l’on peut faire sans ? »

Pour Stéphanie Daniel la méthode c’est entre autre : trouver un parti pris, créer à partir d’inspirations picturales, cinématographiques, écouter le metteur en scène,…

« La méthode me permet d’avoir les moyens pour pouvoir improviser ensuite. La méthode me laisse des possibilités. »

Elle résume sa méthode ainsi : écouter, comprendre, interpréter, s’approprier, aller plus loin, refuser les « recettes », partir des contraintes du lieu ou scénographier le dispositif lumière (« on ne peut pas commencer une conception lumière sans connaître le lieu où l’on va jouer »), faire plans et coupes. Stéphanie Daniel fait des plans séparés en calque et fais ses angles en rhodoïd. Elle n’utilise pas Autocad et trouve que son système lui fait gagner beaucoup de temps. Pour elle, les plans de dessus et de coupe sont importants pour avoir l’exactitude des tracés et pouvoir arbitrer et défendre son point de vue face aux autres contraintes du lieu.

« Tout ça pour pouvoir faire autrement. Laisser ensuite place au hasard. »

Cette « méthode de travail » permet ensuite à Stéphanie Daniel de laisser parler son intuition, ses idées.

Une autre citation l’inspire également : « C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons » – H.Poincaré.

« Je veux repartir à chaque fois de zéro, écouter mon intuition, ne pas réutiliser quelque chose qui a déjà « marché » avant mais utiliser des choses que je ne connais pas. »

Il s’agit de comprendre ce que le metteur en scène veut et aller plus loin, reconstruire autrement ce dont il a envie.

« Souvent lorsque le metteur en scène s’exprime sur ses envies on se dit : « ça veut dire quoi ce mot ? ». En creusant on s’aperçoit que l’on n’a pas réellement compris ce qu’il voulait dire. La vraie question est « quel est ton propre imaginaire de ce mot ? », car il est différent pour chaque personne. Le premier travail est alors de trouver ce que le metteur en scène veut dire, où il veut en venir : trouver sa subjectivité. »

Stéphanie Daniel nous donne un exemple : pour l’un de ses spectacle, Denis Podalydès lui a un jour demandé une « lumière solaire ». Difficile de comprendre d’emblée qu’il voulait juste voir apparaître un rai de lumière au sol. La créatrice lumière et le metteur en scène ont dû faire face à un problème d’interprétation.

Stéphanie Daniel dit ne pas aimer tout changer une fois que son plan est installé. Elle préfère jouer avec ce qu’elle a. C’est pour cela qu’elle préfère installer tout ce qui lui semble utile. Même si le metteur en scène lui dit qu’il ne veut pas de faces, elle les installera quand même, au cas où…

« Ne jamais montrer au metteur en scène que tu galères, car cela l’angoisse. Ils ont déjà assez d’angoisses. C’est pas toi qui a un problème, c’est le spectacle, tout est lié. On doit accompagner le metteur en scène »

Stéphanie Daniel tient à souligner le fait qu’en tant que créateur lumière, il ne faut pas oublier de laisser la place aux comédiens : la lumière doit se mettre au service du projet. L’objectif est de travailler en équipe, de ne plus savoir à la fin qui a eu l’initiative de quoi.

Exemples de spectacles :

– « Incendie » de Stanislas Nordey. La création du spectacle s’est faite en fonction du lieu (théâtre de la colline) « Si ça avait été un autre lieu, ça aurait été un autre spectacle ». Ils se sont tous appuyés sur ce qui existait dans ce lieu pour imaginer les lumières, la scénographie et le jeu (murs, lampadaires, pylônes). Ensuite le décor du théâtre a été recré pour la tournée.

– « Je suis Fassbinder » mise en scène de Stanilsas Nordey Falk Richter. La scénographie a imposé des contraintes techniques : il y avait des comédiens debout et d’autres assis. Le point chaud des lumières ne doit donc pas être placé au même endroit. L’écriture du texte de Falk Richter s’est faite au fil des répétitions. Le décor est une “boite à jeu” pré-existante au jeu et au texte lui-même, chaque nouvelles scènes ou morceaux étaient joués sans ordre établi.

– « Ce qui est en train de se dire » mise en scène de Martine Wijkaert au Théâtre Balsamine, Bruxelles. Pour ce spectacle Stephanie Daniel a du créer une éclipse. Elle a alors dirigé un projecteur vers un miroir qui était mis en mouvement et cela a créé des formes permettant de projeter l’imaginaire du spectateur dans une éclipse.

– « Lucia de Lammermoor », mise en scène de Gaetano Gonizetti, Opéra de Lille. La lumière de ce spectacle s’est construite autour d’une contrainte technique : chaque comédien n’avait qu’une seule grosse ombre.

– « Le voir-dit » studio de théâtre itinérant. Boite à jeu que l’on transporte, espace pédagogique et de spectacle. Dans ce lieu, Stéphanie Daniel a expérimenté des conduites lumière tirées au sort chaque soir.

– « Le mental de l’équipe » mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia et Denis Podalydes. Dans ce spectacle Stéphanie Daniel utilise un éclairage type projecteurs de stade de foot.

La comédie française

La Comédie Française s’organise comme suit : un spectacle par soir et la répétition d’un autre spectacle la journée. Cela implique donc beaucoup de contraintes techniques aux équipes : les décors doivent pouvoir être démonté en une heure à la fin des représentations pour laisser la place à la création de la journée, certains projecteurs ne peuvent pas être bougés, tout doit est précisément noté, le travail de maquette est indispensable …

« En tant que créateur il faut absolument bien dire ce que l’on fait. Il y a une grosse équipe, beaucoup d’interlocuteurs et qui changent. Il y a très peu de temps pour créer. »

Mais Stéphanie Daniel aime cette façon de travailler. Comment interpréter et rendre faisable autrement lorsqu’on demande quelque chose qui n’est pas faisable techniquement ?

« Plus il y a de contraintes, plus il y a de créativité ».

« Cyrano de Bergerac » mise en scène de Denis Podalydès

Stéphanie Daniel obtient le Molière 2007 du créateur de lumière pour le spectacle « Cyrano de Bergerac » mis en scène par Denis Podalydes à la Comédien française.

« Il y avait une énergie différente pour ce projet. Tout était très clair. »

Ce molière lui a apporté une certaine crédibilité auprès des équipes d’accueil des spectacles sur lesquels elle travaillait par la suite.


Retrouvez ici l’annonce initiale de cet événement.

Author: Célia Vallé