Quand l’éclairage s’invite dans les expressions françaises – Faire un four

Si un spectacle n’a pas de public, il fait un four.
Le lien avec la lumière ? on l’éteignait pour inciter à sortir.

Cette expression serait parisienne et nous vient du 17ème siècle, temps de l’éclairage à la bougie.

Pour couvrir les frais d’une représentation, dont l’éclairage, si le public n’était pas suffisant, il valait mieux éteindre pour chasser les rares quidams ; quitte à perde un peu en les remboursant, plutôt que perdre plus en brulant toutes les bougies. Il faisait alors noir comme dans un four.

Si on pense au four de cuisson, il y a Paris un autre type de four. Des lieux mal éclairés rempli d’indésirables : les prisons des sans aveu (sans domiciles, sans garants). Quel que soit le “four”, au XVIIème, il est associé métaphoriquement  à l’obscurité.

L’origine a été aussi attribuée à Théaulon, auteur de théâtre prolifique, pourtant né après les premiers usages de l’expression. Il aurait raté une expérience avec un four utilisé comme couveuse. Etrangement par la suite, aux Etats-Unis fin 19ème, le théâtre utilise comme expression équivalente “lay an egg” (pondre un œuf). Elle fera la tristement couverture du journal Variety, au lendemain du crash boursier de 1929 : “Wall Street Lays An Egg”.  

Dans le Larousse de la fin du 19ème, l’expression sert de définition à une autre utilisée par les troupes,  “remporter sa veste”, au sens aller se rhabiller.


Sources

1687 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54507601]

Plan et dessein du poème allégorique et tragico-burlesque, intitulé Les Couches de l’Académie. . Par Messire Antoine Furetiére, Abbé de Chalivoy, de l’Académie Françoise.

Les Comédiens appellent faire un four, lors qu’ils sont obligés de rendre l’argent à ceux qui sont  venus en si petit nombre qu’il ne suffit pas pour payer les  frais de la représentation.

1701 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5542578m]

Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes & les termes des sciences et des arts,…. Tome 2 / . Recueilli & compilé par feu messire Antoine Furetière,… Seconde édition revüe, corrigée & augmentée par Monsieur Basnage de Bauval

En termes de Comédiens, on dit, Faire un four, pour dire, qu’il est venu si peu de gens pour voir la représentation d’une pièce, qu’on a été obligé de les renvoyer sans la jouer.

1729 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81877 ]

Les oeuvres de Monsieur d’Ancourt. Tome 2 / . Troisième édition, augmentée de plusieurs comédies qui n’avoient point été imprimées. Ornées de figures en taille-douce et de musique. Tome premier [-neuvième]

(sic)

La Gazette
Comédie.
SCENE PREMIERE.
CLITANDRE, UN SERGENT.

LE SERGENT.
C’est temps perdu, Monsieur ; j’ai cherché dans tous les Fours de Paris, & je n’ai pu trouver ce qu’il vous faut. Les hommes sont chers par les tems qu’il fait, & comme vous les demandez sur tout.
CLITANDRE,
Comment faire donc , Monsieur de la Rose ?
LE SERGENT.
Morbleu j’enrage. Il y a quinze jours que je devrois avoir mené la recrue au Régiment , & nous n’avons pas encore la moitié de nos gens.
CLITANDRE.
Il faut en trouver à quelque prix que ce soit.
LE SERGENT.
On m’a fait voir deux petits malingres d’assez bonne mine à la vérité : mais on veut les vendre huit pistoles pièce.
CLITANDRE.
Huit pistoles ?
LE SERGENT.
Oui , Moniteur : mais il n’y a rien à perdre , ce sont des enfans de famille dont on retirera plus que son argent.
CLITANDRE.
Nous en ferions bien plus avancez. Le beau commerce ! je ne veux point de cela.
LE SERGENT.
Oh ! par ma foi, Monsieur , vous êtes trop scrupuleux pour un Officier d’infanterie, il n’y a pas moien de s’y sauver. A quoi vous en  tenez-vous donc ? & comment vous plaît-il que nous finissions ?
CLITANDR E.
Oh ! finis comme tu l’entendras.
LE SERGENT.
Je me donne au diable, il me prend envie de faire un four de nôtre appartement, autant de gens qu’il y viendra, je vous les enrôle.
CLITANDRE.
Fort bien.
LE SERGENT.
Vous avez un tas de créanciers sur tout , que j’aurois bien envie de mener à nôtre bataillon. Je ferois plaisir à bien d’honnêtes gens.
CLITANDRE.
Assurément.
LE SERGENT.
Nous sommes déjà convenus, vôtre Crispin & moi , qu’il m’adresseroit quelqu’un de ses amis ;  & quand quelque drôle un peu bien tourné viendra me demander de sa part , je saurai bien ce que cela voudra dire.

1852 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405489r ]

Le cœur et la dot : comédie en 5 actes / texte de Félicien Mallefille. – Paris : Comédie-Française

SCÈNE III.
LE DOMESTIQUE, CHAVAROT.

CHAVAROT, examinant la note.
Voyons un peu cette note. « Logement… cinq journées…cinq déjeuners et cinq dîners… » Comme c’est cher, tout ça! « Une bougie… un franc !… » un franc, une bougie ?
LE DOMESTIQUE.
Monsieur, les mouches à miel ne travaillent plus.
CHAVAROT.
Total… trente-trois francs cinquante. C’est énorme !
LE DOMESTIQUE.
Oh ! monsieur !
CHAVAROT.
Je vous dit que c’est énorme. Enfin ! (Il remet de l’argent au domestique.) Voilà.
LE DOMESTIQUE, tendant la main.
J’espère, que monsieur n’oubliera pas le garçon?

1873-1874 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5406698m ]

Dictionnaire de la langue française…. Tome 2 / par É. Littré,…

FOUR (four), s. m. Anciennement, nom, à Paris, de lieux servant à enfermer  les gens sans aveu qui battaient le pavé et qui, une fois enfermés, étaient enrôlés de force : ces fours, de l’invention de M. d’Argenson, étaient en très-grand nombre.
[..]
ÉTYM. Four est ici l’analogue de four dans Four-l’Êvèque, Four-aux-Dames. Ces fours étaient des prisons annexées à certains tribunaux ; le nom en vient de forum, tribunal.

1866-1890 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205365n]

Grand dictionnaire universel du XIXe siècle : français, historique, géographique, mythologique, bibliographique…. T. 13 POUR-R / par M. Pierre Larousse

Argot de théâtre. Remporter sa veste, Faire un four, un fiasco complet

1878 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5802400x ]

Guide sentimental de l’étranger dans Paris / par un Parisien ; avec une préface de Louis Ulbach

Ne pas réussir, c’est remporter sa veste ; ce qui s’explique par un athlète vaincu, obligé de se rhabiller, après un pugilat, tandis que le vainqueur, triomphant, dans sa nudité, s’habille de gloire et se revêt de lauriers.
On dit aussi faire un four. L’origine de cette dernière formule a été attribuée à Théaulon, qui voulait, dit la chronique faire éclore des poulets dans des fours, à la manière des anciens Égyptiens, et qui n’obtenait que des oeufs durs. [..]
M. Littré conteste cette origine, et assure que faire un four vient de l’imprudence que commettaient les comédiens obligés de renvoyer des spectateurs, en refusant de jouer et en faisant une salle vide et obscure comme un four.

1902 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k74395q ]

Locutions parisiennes expliquées : locutions populaires, locutions d’argot que tout français et étranger doit connaître / par A.-G. Burger

Faire un four, avoir un insuccès complet

Expression américaine – Sources :

1929 [Source Variety : https://archive.org/details/variety96-1929-10/page/n338/mode/1up ]

Journal Variety, New-York, 30 octobre1929


Illustration – Opéra Comique

1893 [Source Gallica BnF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53123031t ]

[Coupe longitudinale, vue de l’intérieur en perspective] : [dessin] / Dressé par les Architectes Soussignés | Paris le 8 Juillet 1893 || Auguste Duvert, Th. Charpentier

Author: Rui Serge A.B.