Christine Richier est éclairagiste, régisseur de théâtre et chercheuse. Titulaire d’un master en philosophie et doctorante en esthétique, ses activités interrogent la fabrique du visuel scénique. Elle enseigne l’éclairage et son histoire à l’Ensatt (Lyon). Elle a été longtemps assistante du scénographe Josef Svoboda sur lequel elle a réalisé un film.
Auteur : Christine Richier
Editions AS, Collection Scéno+
272 pages – 280 x 245 mm – 56 €
ISBN : 2-912017-36-X – 2011
Genre : Essai thématique – L’histoire de l’éclairage scénique avant la lampe à incandescence
Sommaire
Flammes Antiques – Des origines à l’Antiquité
La pensée chrétienne de la lumière – Moyen Âge
L’œil du prince – Renaissance
Les lustres du grand siècle – Baroque et classicisme
Les réformes des lumières – XVIIIe siècle
Pleins Feux – XIXe siècle
Le livre, très illustré, nous guide dans l’univers de l’éclairage à travers le temps et l’espace. Au-delà d’une chronologie bien ordonnée allant des Origines jusqu’au début du XXe siècle, on découvre aussi la lumière sous des facettes bien différentes : émanation de la nature, objet à maitriser, phénomène scientifique, source puissante et influente. Le parcours est une immersion permanente. On vit dans chaque époque, on ressent la chaleur de la flamme ou l’aveuglement de l’arc électrique, on parcourt les galeries des jeux de paume, on sent l’odeur de suif ou du gaz, on voit les décors en demi-pénombre, on se mêle à la foule du théâtre à l’italienne, on observe les peintures au clair-obscur, on participe aux découvertes scientifiques, on s’interroge sur le soleil et la lune.
Des Origines à l’Antiquité, partons à la lumière de la mythologie avec Prométhée le voleur de feu, et Zeus le maitre de la foudre. Puis passons voir les représentations du théâtre grec sous les feux du soleil, dans les théâtres antiques orientés pour capter le meilleur éclairage. En fouillant un peu dans ces temps reculés on trouvera aussi et déjà des mécanismes automates pilotés par le feu, des effets pyrotechniques, ou encore la Machine à lumière de Héron d’Alexandrie, cela fait-il rêver ? C’était encore le temps des foyers, des torches et des premières lampes à huile.
Le Moyen-âge, affublé à tort d’obscurantisme est au contraire le temps des couleurs vives et de la lumière Divine. « Fiat Lux », le sacré, le religieux, le liturgique vont beaucoup faire appel à la lumière victorieuse des ténèbres : les enluminures illustrant les représentations, le jour entrant dans les églises, les vitraux exposés au soleil. Et que dire des lumières de l’enfer ? Dans son rituel, l’Eglise se drape de théâtralité et use de nombreuses sources lumineuses, voire de pyrotechnie. C’étaient les siècles de la torche (où l’on apprend comment Charles VI faillit brûler vif dans son costume de danse !), de la lampe à huile, de la chandelle de suif, des cierges de cire, des chandeliers, candélabres, bougeoirs et autres lanternes.
De la Renaissance au classicisme, la lumière devient joie, fête et rayonnement. Le formidable éveil des idées et de l’économie amènent une richesse propre au développement des festivités et de l’art. Dans l’art pictural on cherche la mise en perspective. La lumière n’est plus seule, l’ombre aussi veut être peinte et donner ainsi sa direction à la lumière. Plus tard le clair-obscur dramatisera la peinture en art scénique avec Le Caravage comme précurseur.
Dans l’art de la fête, les grandes illuminations vont impressionner les foules – plutôt habituées à l’économie de bouts de chandelle – en multipliant les flammes par centaines ou milliers. Où l’on commence à exploiter l’éclairage artificiel comme fabrique de merveilleux dans des représentations nocturnes. Il ne reste qu’un pas à faire vers la naissance de l’éclairage scénique, avec de grands noms comme Léonard de Vinci, Sebastiano Serlio, Leone De’Sommi, Angelo Ingegneri, Nicola Sabbattini. C’était l’époque de la multiplication des flammes, malheureusement encore très fumeuses et de leurs dispositifs : rampes, lustres de scène ou de salle, miroirs, réflecteurs, cristaux et verres colorés pour tenter d’en magnifier les effets.
Au XVIIIe siècle, la lumière va figurer la raison, et avec la raison on va mieux la maitriser. La lumière objet qu’on manipule dans l’illusion, le spectacle optique, l’ombre chinoise et autres fantasmagories. Philippe-Jacques de Loutherbourg invente l’ « Eidophusikon » théâtre mécanique à cinq tableaux lumineux avec clavecin et bruitages divers. Au même moment la lumière s’offre une nouvelle puissance avec la lampe d’Ami Argand, inventeur du procédé de mèche creuse traversée d’un flux d’air rendant sa flamme sans fumée et dix fois plus lumineuse qu’une bougie. Cette lampe amplifiera l’effet de la lanterne magique, ancêtre à lentilles de notre découpe actuelle. Elle équipera bientôt toute la société sous le nom de lampe Quinquet.
Au théâtre les spectateurs ne sont plus installés sur scène comme auparavant mais occupent la salle seulement. C’était l’époque du perfectionnement des effets de lustres, rampes, herses (rampe aérienne), écrans diffuseurs, réflecteurs concaves, garde-vues contre l’éblouissement. Mais la scène n’est encore illuminée que sur une profondeur de trois pieds, … soit un mètre.
De la Révolution à la Commune, la scène devient le monde avec sa dureté brute et n’est plus seulement le lieu où dépeindre ou critiquer les certitudes religieuses ou politiques. La lumière va renforcer le regard du public sur l’image. Le spectateur veut du vrai, des effets, des paysages sur de grandes toiles illuminées, des ciels changeants, des orages. La couleur devient plus prégnante et nuancée.
Le gaz comme source d’éclairage va se répandre dans les salles – au sens propre également diront ses détracteurs, avec le danger, l’odeur et la chaleur. Il apporte une maniabilité et une puissance lumineuse nouvelles, non seulement pour éclairer mais aussi pour faire le noir. Côté coulisse, le tableau de distribution et son enchevêtrement de tuyaux et de robinets lui vaudra son nom de jeu d’orgue qu’on utilise encore aujourd’hui.
Dans la société les gens n’ont plus besoin de se rassembler autour de la lumière car c’est elle qui les entoure. Sur scène, elle repousse les côtés et le lointain, permettant au comédien un jeu plus étendu mais aussi moins caricatural car plus visible. Avec la focalisation de sources puissantes, la lumière dirige aussi le regard. C’est ainsi qu’elle fait son entrée au côté de la scénographie, de l’art du costume, du maquillage, du décor. Et de la mise en scène, car c’est à la même période que le métier de metteur en scène va apparaître. Est-ce un hasard ?
Ce sera bientôt le temps du puissant arc électrique, précédant de peu la première ampoule.
En épilogue, Christine Richier nous ramène en salle et nous invite à observer la lumière intérieure de l’émotion et du jeu. Car quelle que soit la technologie et la richesse de la lumière apportée à la scène, ce qui compte est que le théâtre continue à nous éclairer.
Christophe Lyonnet – Luminaris 14.03.2015
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